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L'artiste doit être libre : Wodek & Sonia Milewska, O.pl Polski Portal Kultury

Sonia Milewska: En Pologne, l’art belge n'est pas bien connu. C’est pourquoi je vous propose de commencer notre entretien par l’Atelier 34zero Muzeum, un centre bruxellois d’art contemporain dont vous êtes directeur. Vous êtes également commissaire de l’exposition à la galerie BWA à Katowice, où vous présentez la collection de l’Atelier 340 Muzeum / Atelier 34zero Muzeum (http://news.o.pl/2016/09/20/atelier-34zero-muzeum-bwa-katowice/#/).

Racontez-nous les débuts de l’Atelier ainsi que de votre collection duvres d’art.

Wodek: L’Atelier 340 Muzeum / Atelier 34zero Muzeum existe depuis 37 ans. J’en suis le fondateur et propriétaire. Il est une structure privée, partiellement subventionnée par la commune et plusieurs ministères dans le cadre de divers projets. L’Atelier 34zero Muzeum occupe une surface de 2000 m2 et se compose de 10 bâtiments et d’un petit jardin d’un hectare. On peut passer d’une maison à une autre librement car elles sont toutes reliées. Elles abritent, entre autres, un café culturel. Dans le jardin, nous montons des expositions. Nous avons un projet avec des bannières qui nous permettent de promouvoir nos œuvres d’art. Nous disposons de 6 emplacements publicitaires de 20 m2 chacun. Tous les deux mois, nous remplaçons ces bannières que nous stockons par la suite.

Les activités de l’Atelier 34zero Muzeum sont variées: tout d’abord nous nous focalisons sur la conception et l’organisation des expositions, surtout thématiques, mais aussi confrontatives et biographiques. En outre, nous gérons une maison d’édition qui publie de nombreux ouvrages sur l’art contemporain et des cartes postales présentant les tendances actuelles. Nous exportons ces cartes postales, ainsi que les catalogues, vers toute l’Europe et même le Japon. Nos cartes sont vendues à la Galerie Zachęta, à la Librairie Bolesław Prus rue Krakowskie Przedmieście ou au café-librairie Czuły Barbarzyńca à Varsovie. C’est notre façon de promouvoir l’art, peu importe si les artistes sont connus ou non, ce sont les œuvres qui comptent. L’éducation est un autre volet de l’activité de l’Atelier 34zero Muzeum: nous organisons des cours pour les enfants âgés de 6 à 12 ans et le Baby Boom pour les plus petits de 6 à 18 mois.

L'Atelier 34zero Muzeum est donc une structure à mi-chemin entre galerie et musée, visant surtout la diffusion de l'art moderne et contemporain?

Il ne s'agit pas d'une galerie typique, mais d'un centre privé d'art contemporain. Notre activité se concentre sur la culture et non sur la vente, tout en réalisant des transactions commerciales types concernant l'édition ou la vente des œuvres d'art. L'Atelier 34zero Muzeum étant une entité privée, nous devons fournir des efforts considérables pour pouvoir au moins payer les salaires de nos employés. Nous avons 15 collaborateurs : historiens d'art, artistes et bien évidemment employés administratifs et comptables. Notre centre abrite également un café culturel populaire avec une petite touche polonaise : nous vendons beaucoup de bière polonaise, de jus de fruits, de vodka et de guimauves «ptasie mleczko» pour accompagner le café. En outre, nous disposons d'un atelier de menuiserie qui propose ses services aux artistes. Cet atelier est utilisé lors de l'assemblage ou du désassemblage des expositions, ainsi que pour des résidences artistiques ou des cours pour enfants.

La collection d'œuvres d'art dont nous avons présenté une grande partie à la BWA à Katowice constitue bien évidemment une autre composante de l' Atelier 34zero Muzeum. Il n'a pas été possible de montrer les bannières faute d'espace disponible suffisant. À présent, nous exposons dans notre jardin un tableau d'un artiste américain qui, comment dire, urine dans sa propre bouche. Cela a déclenché une réaction d’un groupe de conservateurs qui est apparu pour faire polémique. C'est un phénomène intéressant car, même si nous vivons à l’époque des démocraties libérales, il convient de tenir compte de la démocratie culturelle. Nous avons organisé beaucoup d'expositions thématiques, par exemple Irreligia (Irreligion), qui a été très importante de par son rapport à la Pologne. Organisée dans les années 2001–2002, dans le cadre du festival Europalia à Bruxelles en collaboration avec Kazimierz Piotrowski, l'ex-vice-directeur du Musée national de Varsovie, elle comprenait des œuvres créées entre l’an 1900 et 2000 par 50 artistes qui s’étaient inspirés des dogmes du catholicisme, du judaïsme etc.

L'idée de sortir avec des œuvres d'art dans la rue me plaît beaucoup.

Nous voulons vraiment éviter que l'art reste enfermé entre les murs. Il doit être à l'extérieur, susciter un débat. On constate des différences de niveau intellectuel ou culturel, ce qui est tout à fait normal, donc il est important de faire une provocation intellectuelle. Cela n'est possible qu'à l'extérieur, car tout le monde ne va pas au musée. L'art exposé au public est davantage susceptible de provoquer un débat, et c’est justement le rôle de nos bannières. L’analyse sociologique de la société est pour nous essentielle. Notre maison d’édition également car, malgré Internet et les nouvelles technologies, on peut encore montrer des choses sur le papier. Les cartes postales qu'un étudiant ou une personne démunie peuvent s'acheter pour créer leur propre collection artistique en sont un exemple parlant.

Comment sélectionnez-vous les œuvres à ajouter à la collection ou à reproduire sur les bannières et cartes postales?

Tout d'abord, nous choisissons des œuvres pour leurs valeurs singulières. Nous juxtaposons des esthétiques différentes. Il ne s'agit d'aucun monologue abstrait ou figuratif. À l’heure actuelle, nous exposons dans notre jardin une bâche avec une œuvre de Katarzyna Górna – Madonna (La Madone) assortie à la photographie de l'artiste américain dont j’ai déjà parlé (Keith Boadwee).

Dites-nous un peu plus sur l'art polonais dans votre collection. Dans l'exposition de la BWA à Katowice, nous pouvons voir les œuvres de Katarzyna Kobro et Władysław Strzemiński, mais aussi de Władysław Hasior ou Leszek Knaflewski

J'ai acheté cette œuvre de Strzemiński par hasard, je ne sais plus trop quand. Hasior par contre avait une résidence artistique chez nous. Nous avons en plus monté son exposition dans le cadre de l'assemblage polono-belge. Malgré les bouleversements politiques en Pologne au tournant des années 80 et 90, nous avons finalement réussi à monter cette exposition aussi à la BWA de Poznań.

Dans un court métrage projeté lors de l'exposition, vous dites que vous vous sentez européen. Éprouvez-vous l'envie et le besoin de diffuser l'art polonais en Belgique?

Pas vraiment. Je suis Polonais d'origine, mais j'habite en Belgique depuis 45 ans déjà. C'est ici que je vis et travaille. L'Atelier 34zero Muzeum est une structure internationale, mais certainement pas polonisée. De temps en temps, nous dévoilons un pan de l'art polonais. L'ouverture des frontières dans l'espace Schengen et l'émigration polonaise ont grandement changé la donne. On sait d'où l'on vient et ce que l'on veut faire dans la vie. Je suis convaincu que la coopération internationale prévaut dans la vie sur les nationalismes.

Quel courant artistique polonais appréciez-vous le plus?

C'est une question difficile car je ne vis pas en Pologne. Ne pouvant pas fréquenter les vernissages, je ne peux pas suivre de près l'évolution de l'art moderne polonais. Sans aucun doute je peux dire que Szpakowski est pour moi un artiste très important. De même pour les autres représentants du courant moderniste ou constructiviste. J'apprécie la créativité et les styles propres à un artiste qui donne un aperçu d’une singularité régionale, tout en transmettant des valeurs internationales, universelles. Le choix est difficile. Je peux dire que j'ai aussi un grand respect pour les œuvres photographiques de Katarzyna Górna, Leszek Knaflewski ou pour l'œuvre de Zbigniew Libera etc. Je voudrais très certainement renouer avec l'art polonais et organiser quelques expositions, par exemple une exposition thématique Nagość socjologiczna / Performance z nagością (La nudité sociologique / Performance avec la nudité)de nombreux artistes polonais ont créé des œuvres intéressantes traitant de ce sujet et je voudrais en faire un bilan.

Parlez-nous de l'art contemporain belge. À l'exposition de Katowice, on peut repérer quelques tendances dominantes: des sujets en lien avec la nature, l'abstrait, l'art sociologique. Cette collection reflète-elle les tendances de l'art belge ou s'agirait-il plutôt de votre choix personnel?

La collection n'est pas un recueil de tendances, mais une documentation de notre travail et un reflet des expositions organisées par l'Atelier 340 Muzeum / Atelier 34zero Muzeum. En effet, nous nous sommes penchés à de nombreuses reprises sur la représentation d’une pierre, d’une plante ou d’un animal dans l'art. Le sujet du noir dans la sculpture nous a également passionnés. En outre, nous nous intéressons à l'art sociologique: à l'heure actuelle, nous sommes en train de préparer une exposition sur le pipi dans l'art – appelé «pluie dorée», du XVème siècle à nos jours. Pour illustrer ce sujet, nous avons à disposition de nombreuses photos intéressantes, des tableaux, des performances. Nous travaillons aussi sur la problématique du rapport entre les cheminées et l'urbanisation, ainsi que sur «le portrait inversé», afin de montrer différentes attitudes des gens envers leurs portraits.

Un grand nombre de personnes travaillent à L’Atelier 34zero Muzeum. En quoi consiste votre rôle de directeur?

Mon rôle oscille entre la fonction de président et celle de concierge – «pipelet». Je suis tout simplement celui qui réfléchit à ce que font les artistes et les aide à présenter leur travail. Cette collaboration a une grande importance pour moi. Les expositions thématiques que j’organise sont collectives et je sélectionne les artistes en fonction de leurs œuvres et non de leurs relations. Très souvent les artistes qui ne se connaissent pas entre eux peuvent, à l’occasion de nos expositions, rencontrer de nouveaux amis venant de différents pays et découvrir leurs œuvres traitant du même sujet qui les interpelle.

En plus de vos responsabilités du gérant et commissaire de l’Atelier 34zero Muzeum trouvez-vous du temps pour vos activités artistiques?

J’ai été sculpteur à une certaine époque, je travaillais la pierre. À la fin des années 80, je me suis retrouvé face à un dilemme : je manquais de temps aussi bien pour réaliser mes sculptures que pour l’organisation d’événements à l'Atelier 340 Muzeum. À ce moment-là, l’institution a connu une expansion et je devais lui consacrer plus de temps. Mais travailler avec des artistes et intellectuels n’est pas une perte de temps et rend la vie intéressante.

D’où vient votre intérêt pour l’art?

Je suis issu d’une famille plutôt intellectuelle, je le constate bien évidemment sans prétention. Mon père était directeur du département de philosophie de l’Université de Varsovie, ma mère était journaliste auprès de plusieurs journaux, comme «Dziennik Ludowy» (Le Journal populaire) ou «Przyjaciółka» (L’Amie). Ma mère a ensuite épousé un journaliste belge et est partie pour Anvers. Plus tard, j’ai suivi ses traces et l’ai rejoint en Belgique. En Pologne, ma mère écrivait des articles traitant des problèmes des paysans après la guerre mais aussi de l’art. De nombreux artistes ont fréquenté notre maison, ce qui m'a certainement influencé. Avec mon père, philosophe, nous avons mené des discussions logiques. Tous ces facteurs ont contribué à forger ma personnalité. Nous venons tous de familles différentes. Notre attitude envers l'art diffère aussi. Elle dépend de notre éducation et de la façon dont notre intelligence intellectuelle s'est constituée.

Quel aspect de l’art trouvez-vous fondamental?

La liberté absolue de l'artiste est primordiale. L'art ne peut pas être censuré. D'après moi, l'éducation des artistes dans le sens de l'intelligence, du niveau intellectuel est essentielle. Un historien de l'art ou le directeur d'un musée ou d'un centre d'art doit vraiment se poser la question de savoir s'il connaît et comprend l'art. Il ne s'agit pas de reproduire les mêmes sujets, mais de prendre sciemment des décisions concernant l'œuvre, l'artiste ou l'évolution de l'art. Les directeurs sont souvent déchirés entre les extrêmes. Ils manquent d'ouverture d'esprit, car ils ont affaire à l'art tronqué, extrême. Cependant, il faut comparer les œuvres d'art et se demander si elles ont une valeur ou pas afin d'éviter de revenir vers certaines esthétiques qui ont déjà abouti et qu'il est inutile de reproduire.

Merci beaucoup pour cet entretien.

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WODEK – né en 1952 à Varsovie, où il a vécu jusqu’aux années 70. Depuis 1973 il habite en Belgique. Il a étudié la sculpture à l’Académie Royale des Beaux-Arts en Belgique, puis à l’Académie de St-Josse. En 1979, il a fondé l’Atelier 340 Muzeum, dénommé l’Atelier 34zero Muzeum depuis 2014. Entre 1993 et 1997, Wodek a été un membre actif de la Commission consultative des arts plastiques de la Communauté française de Belgique. Depuis 1979, Wodek a été commissaire de nombreuses expositions, entre autres : La pierre dans l'art belge contemporain (1983), Surface sculpturale (1984), De l'animal et du végétal (1985), Matières non-assemblées  (1986), Walter Leblanc (1989), Jacques Lizène (1990), Waclaw Szpakowski (1992), Nils-Udo / Bob Verschueren (1992), Le noir dans le sculptural (1993), Vladimir Skoda (1995 et 1998), Bob Verschueren (1997), Patrick Dougherty / Adrian Maryniak (2000), Toutes les couleurs sont autorisées (2007), Jeanine Cohen / Javier Fernandez (2013), Approche aux Constellations (2013).

SONIA MILEWSKA (1991) – rédactrice du portail culturel O.pl Polski Portal Kultury dans les sections suivantes: arts visuels, film, photographie, architecture. Diplômée de l’Institut de l’Histoire de l’Art de l’Université Jagellone de Cracovie, étudiante en conservation des œuvres d’art à l’Académie de Beaux- Arts de Cracovie. Intéressée par l’art au sens large, de son histoire à l’art contemporain et par de nouveaux médias. Admiratrice, critique et restauratrice des œuvres d’art.

 

 

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